La voie royale du commercial, c'est la départementale !
Ce titre a priori sans rapport avec une thématique automobile, rappellera peut-être à certains l'une des devises de l'illustre Jean-Claude Convenant, VRP inculte, beauf convaincu, grossier personnage fondamentalement roublard interprété avec talent par Yvan Le Bolloc'h dans la série Caméra Café qui passait sur M6 il y a de cela une bonne quinzaine d'années (eh oui)... Le lourdaud plus bête que méchant sillonnait en effet les départementales autour de "Chimoux" ou "La Ferté-les-Meules", bleds paumés fictifs créés pour l'occasion, pour vendre de manière plus ou moins forcée, des "C-14" (appareil dont on ignore la fonction) au volant de sa Xantia copieusement tunée, équipée d'un klaxon beuglant "La Cucaracha" et d'un pare-buffles, "indispensable en milieu rural" dixit l'intéressé.
Le contexte posé, vous aurez compris qu'il s'agit d'un clin d'oeil à cette série que j'ai beaucoup aimée, et que le propos du jour concernera les routes départementales, celles-là mêmes que Jean Yanne ne fréquentait pas car "c'est plein de boue et ça sent mauvais"... Eh bien moi, je les aime les routes départementales... surtout celles sillonnant le Gers jusqu'au Lot-et-Garonne et au Tarn-et-Garonne. Pratiquant la photo de paysages et de sites patrimoniaux, prendre le volant pour me rendre sur les spots fait partie intégrante du plaisir de cette expérience : enchaîner les virages, être parfois surpris par la beauté d'un décor naturel jusqu'à m'arrêter pour l'immortaliser, faire des détours, improviser, découvrir des itinéraires jalonnés par des trésors soigneusement préservés à l'abri du tumulte...
Soyons francs, le moment que nous traversons, nous autres mordus de la chose automobile, est plus que compliqué. Nous sommes montrés du doigt, la voiture est rendue responsable de tous les maux, les moteurs à l'architecture noble sont de plus en plus réservés à une élite, nous subissons toujours plus de taxes et de décisions politiques vides de sens qui nous tombent dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton, dernier exemple en date, celle de la baisse de la limitation à 80km/h sur le réseau secondaire qui arrive d'ici le mois prochain : une décision absurde, inique, sans nuance, jacobine, et surtout d'une parfaite hypocrisie quand on sait que la mise au grand jour des résultats de son expérimentation a fait l'objet d'un silence assourdissant (et pour cause), que "son Altesse Sénilissime" le ministre de l'intérieur préfère botter en touche quand il est interrogé sur cette question par la presse, et que des études indépendantes ont montré que la formule défendue par le lobby anti-voitures... pardon... la sécurité rentière et ses pisse-froid, hélas influents dans la sphère politique, établissant une corrélation entre vitesse et mortalité pour justifier de cette mesure insensée est fausse (à titre d'exemple, l'Allemagne et l'Angleterre ont une vitesse limite supérieure à la notre sur leur réseau secondaire et comptent moins de morts). D'ailleurs, si l'objectif était réellement de sauver des vies, pourquoi ne pas abaisser carrément la vitesse à 40km/h ? Au nom de quoi ces sbires choisissent de simplement réduire le nombre de tués quand ils peuvent, théoriquement, l'annihiler ?
La prétendue volonté de réduire le nombre de morts n'est qu'un leurre, un alibi, quand on imagine aisément qu'une fois les voitures obligées de rouler à la même vitesse que les camions, le nombre de dépassements dangereux visant à s'extraire de la colonne augmentera en flèche. Au passage, l'autre mirage affiché par cette décision, celui visant à réduire la pollution, ne tiendra pas bien longtemps lorsque nous constaterons que des voitures en sous-régime ou sur-régime passeront davantage de temps sur la route, car beaucoup de voitures sont équipées de boîtes à six rapports à l'étagement très long : elles brouteront sur le dernier rapport et exigeront un rapport inférieur avec à la clé, le moteur qui tournera plus vite qu'à 90 en sixième. Enfin, pour parachever le tableau des accidents causés par des dépassements dangereux, il y aura ceux issus de la somnolence et de la distraction résultant du pianotage sur un téléphone ou un système embarqué d'info-divertissement... Vu l'impression de vitesse gommée par les automobiles modernes, imaginons ce que cela donnera à 80km/h : certains voudront passer le temps en lisant leurs mails et leurs sms. L'attention au volant, déjà pas vraiment au meilleur niveau sur nos routes (il suffit de lire les articles sur les accidents de la circulation dans la presse quotidienne régionale faisant état de voitures qui ont quitté la route "pour une raison indéterminée"...) risque d'en pâtir encore plus.
Pourtant, lorsque je circule sur certaines routes de la campagne gersoise ou lot-et-garonnaise, j'ai le sentiment qu'en dépit de l'arrivée imminente de ce gadget de parisien technocrate qui n'a jamais passé d'autre frontière que celle entre Paris et les Hauts-de-Seine, ces routes rurales, riches en virages et comportant de forts dénivelés permettront toujours de prendre du plaisir au volant au lieu de mettre le cerveau sur le mode veille et de figer ses yeux sur le compteur. Pourquoi ? Tout simplement parce que dans la logique purement comptable qui les anime (pour ceux qui auraient encore des doutes quant aux objectifs réellement visés : quand il y a une baisse de la limitation de vitesse, un radar voit son activité multipliée par quatre... CQFD), mettre des radars sur des routes où il n'y a qu'une dizaine de voitures qui passent par heure (et encore) n'aurait pas d'intérêt : le temps des forces de l'ordre doit être rentable aussi, et également parce que, c'est là tout le paradoxe, sur beaucoup de portions de ces routes de campagne, eu égard à leur profil, on a finalement l'impression d'aller vite à 80km/h !
C'est une nouvelle preuve du caractère vertical et froidement mécanique de la mesure... Le département du Gers, dans lequel je réside, et je suis sûr qu'il ne s'agit pas du seul à se trouver dans ce cas, comporte parfois de belles routes aux grandes courbes sur lesquelles rouler à 100-110km/h donne l'impression d'être à une bonne allure, suffisante au maintien d'un bon niveau d'attention mais par contre, sur d'autres routes, il faut être soit pilote de rallye professionnel, soit suicidaire pour oser dépasser le 70... La prise en compte du profil des routes et de leur état est tout simplement inexistante : on prend un chiffre arbitrairement et on l'assène de Bray-Dunes à Banyuls et de Plouarzel à Haguenau comme l'implacable vérité. Au vrai, si on voulait vraiment adapter judicieusement les limitations de vitesse aux routes, cela se saurait...
Je n'aurai donc aucun mal à l'avenir à délaisser les "grands axes" (dans le Gers, les guillemets prennent tout leur sens) au profit de ces petites départemantales sur lesquelles il n'y a quasiment personne. J'espère juste qu'elles ne se transformeront pas en itinéraires de délestage de ces longues processions de voitures et poids-lourds à venir et que leur tranquilité, à défaut d'être complètement préservée sera, à tout le moins, épargnée. Cela me permettra toujours de prendre du plaisir au volant de la 406, qui redemande du virage encore et encore depuis la pose de quatre Michelin PS4 en mars dernier, et accessoirement, cela favorise la découverte de jolis paysages et de lieux d'intérêt comme des vieilles églises, des bastides ou des châteaux. Quand on peut joindre l'utile à l'agréable...
Anthony Desruelles